Le Soir (29/10/1997)
par Christelle PROUVOST

Claude Semal sort un livre, un disque et reprend "Odes à ma douche"

Le plus virulent stylo du petit royaume

S'il existait un seul artiste, défenseur de notre culture, ce serait Semal. Alors écoutez donc cet "echte" prophète !

Claude Semal se porte bien. Au moment où la Belgique est plutôt patraque ? Alors que notre plat pays est précisément une des préoccupations majeures de notre Tintin chantant ? Eh bien, oui, Claude Semal se porte bien.
Non pas qu'il soit devenu un angélique optimiste, se contentant de renifler béatement le parfum des fleurs. Claude Semal est, comme il dit, un optimiste désespéré. Mais peut-être qu'il a appris au fil du temps à voir les choses avec plus de distance et encore plus d'humour, si c'est possible. Que l'on se rassure, Claude Semal a encore plein de choses à dire. Et histoire de bien férir, notre homme a même décidé de s'exprimer à la fois sur le papier, sur disque et sur scène.

Sur les planches du Café qu'il a ouvert il y a trois ans avec Charlie Degotte, Claude Semal va donner la 300° représentation d'"Odes à ma douche", son solo musclé et légendaire, justement mis en scène par ... Charlie Degotte en 86. Une reprise qui fête ainsi les dix ans d'existence d'un spectacle qui a tourné dans tous les coins, qui se sont fait un plaisir d'être ainsi dépoussiérés.

LA CULTURE BELGE EXISTE

Ca, c'est pour les confettis, le live et la joie en direct. Passons à présent, si vous le voulez bien, au Semal version papier. "La Belgique de Merckx à Marx, Pour en finir avec". Rassemblant ses chroniques, des textes de scène et de chansons, cette somme en noir, jaune, rouge nous met nez à nez avec les délires et contradictions du pays petit. Pour en finir avec la pluie, la bière, les frites, les Flamands, le sponsoring, le football,... Une trentaine de textes qui parlent de choses aussi différentes que les mystères de la vie ou la loi de dieu mais qui ont quand même pour préoccupation principale notre étrange pays fédéralisé.
Bien sûr, on ne sera pas toujours d'accord avec les idées avancées - mêrme si globalement elles font mouche - mais déjà Semal en a des idées. Ce dont ne peuvent se vanter beaucoup de nos politiciens et patrons ! Bien sûr, il est des observations que l'on ne partage pas nécessairement mais force est de s'unir à son cri de désespoir quand il dénonce l'absence d'identité culturelle belge ! Quel est ce pays qui a honte de ses auteurs, de ses chanteurs, de son architecture au point de les ignorer ou de les détruire ? A-t-on vraiment besoin des pays étrangers ou de la consécration financière pour reconnaître nos artistes ?
Pertinence, intelligence, audace feront grincer les dents de certains et feront rires les autres. Tous, à un moment ou l'autre, nous sommes visés. Le tout est de voir si on a de l'humour ou pas. L'envie de changer les choses aussi.

BREL DE FIN DE SIECLE

Mais c'est sans doute par son CD, "Claude Semal en fanfare" que le bouffon des temps actuels nous a le plus agréablement surpris. Pas tellement par la découverte des chansons. On le avait déjà, entendues sur scène puisqu'elles sont issues de "Ma première tournée mondiale (exceptionnellement dans cette ville)". Mais par l'enregistrement du CD, surtout. Cela faisait longtemps que Semal révait de travailler avec une fanfare. C'est aujourd'hui chose faite. Et ça lui convient à merveille.
Allant de l'hymne sautillant au madrigal, en passant par la valse conne, le fox-trot parodique ou le cha-cha-cha approximatif, les airs de Semal, entre les mains de la fanfare Cramique, de l'accordéon de Vincent Trouble, du trombone de Danhier et de la batterie de Mobers, deviennent incontournables, entrainants, envoûtants.
C'est bien simple, le CD de Semal, on se le remet en boucle.
Ce qui n'était pas le cas du précédent, trop larmoyant, trop chevrotant. Ici, la voix de Semal, habituellement bonne sur scène et agaçante sur album, se pose et s'impose. Et l'on réécoute mille fois "Petit", le rap latin de "Peu de gens", l'ironie percutante de "La façade" ou la vraie chanson de rue de "Dormir au chaud". L'on ne sait si les radios, louchant en permanence sur les courbes d'audimat, le passeront. Mais le dernier CD de Semal ne ressemble pas à ce qu'ils prendraient pour du "ringard". C'est effectivement de la chanson, en français, engagée. Mais c'est out sauf sinistre. On dirait parfois le grand Jacques, version fin de siècle. C'est drôle et c'est bien ! Tant pis pour ceux qui ne nous croient pas.

Christelle PROUVOST

"La Belgique de Merckx à Marx, Pour en finir avec", éditions Luc Pire, 160 pp. et le CD "Claude Semal en fanfare", Sowarex, FC 106, 1.095 F (pour les deux).
Reprise d'"Odes à ma douche" au Théâtre Le Café, du 29 octobre au 16 novembre.

Légende de la photo : La Noble Belgique radiographiée par Semal, en direct de la salle de bains théâtrale, en spectacle, en livre et en disque. Photo Pierre-Yves Thienpont.