Le Vif - L'Express ( 17/03/1994)
par Philip TIRARD

Solo
Semal, bouffon royal

Eternel galopin des planches bruxelloises, le "ketje" Claude Semal fait l'inventaire de nos deuils nationaux. Hilarant, tricolore et poétique.

Tenir plus de quatre mois l'affiche avec un one-man-show dans une salle improbable des Marolles, voilà le pari fou qu'est en train de gagner Claude Semal. Après nous avoir rafraichis de ses "Odes à ma douche", il nous passe une roborative friction identitaire dans son "Cimetière des Belges". Etonnante nécropole ! Par la grâce de sa fantaisie tendre et acide, on y croise pas moins de seize personnages qui constituent une sorte de panthéon du mal(aise) belge. A commencer par un délégué du ministre de la Culture (avec un grand Q), quelque peu égaré dans la politique culturelle, mais content d'avoir "réussi" quand même. Bien sûr, il a perdu ses notes mais, en homme de ressource, il improvise un discours, désopilante compilation des clichés du jargon officiel wallingo-bruxello-européen, dans une rhétorique irrésistible, à mi-chemin entre la circulaire administrative et le patois de La Louvière. C'est peu de dire qu'on rit...
Parlons-en de ce rire, justement. C'est du vrai, du pur, de l'arraché, de l'au bord-des-larmes, gorgé d'affectivité, de blessures refoulées, de souvenirs d'enfance. Quand Semal évoque sa mère-grand, une sociologue hystérique, un charcutier arnaqueur ou qu'il se lance dans un panégyrique du verre de bière, on part pour un vrai voyage dans un paysage surréaliste étrangement familier. On se découvre Belge à la gueule de bois sortant du tombeau où nos querelles communautaires ont mis notre âme de ketje de Bruxelles. Semal joue admirablement les bouffons : il fait de son public un roi qu'il sert généreusement, mais sans oublier d'aimer les fleurs. A l'heure où tant d'artistes de complaisance s'aveuglent à la contemplation d'un nombril tout plat, Semal a l'oeil, et le bon. Son irrespect sue l'amour jusque dans les saillies scatologiques, sa poésie nous mange le coeur comme un spéculoos craquant. Il a définitivement compris qu'être artiste, c'est donner tout.

Philip TIRARD

Les Ateliers populaires, 88, rue Haute, Bruxelles. Jusqu'au 2 avril. Réservations : (02) ...

Légende de la photo : Claude Semal : un "Cimetière" bien vivant...