La façade

J’avais sorti ma chienne qui prétend tous les matins
Compisser les parcmètres et s’ébrouer les ovaires
J’pousse la porte de chez moi: nom de dieu! y a plus rien
Qu’trois Arabes polonais dans un trou d’bulldozer
‘Z avaient rasé l’quartier en épargnant la façade
Pour mieux cacher ce crime que rien ne nécessita
Mon faux balcon Horta cloué sur une palissade
Un vrai décor de film façon Cinnécita
J’fonce au bar d’à côté dénoncer cette imposture
auprès du patron pourri du bureau d’architecture
et j’crache dans son Moselle dans mon pseudo dialecte:
Eh! qué! avec Bruxelles, ah! schieve architecte?!?
Il m’a dit...

On a sauvé la façade, pourquoi tu le contestes:
Horta et tes torsades et bazardé le reste!
On a sauvé la façade: l’urbanisme l’atteste!
Le passé est passé; l’avenir à venir;
au présent à présent ‘faut vivre avec son temps... Ouais!

J’avais suivi ma chienne qu’a le poil prolétarien
appeler la classe ouvrière à dresser ses calicots
J’pousse la porte de l’usine: nom de dieu! y a plus rien
Qu’une machine à café encerclée d’dactylos
L’délégué syndical un peu dépassé m’explique
La chute du Mur de Berlin les nouvelles technologies
L’échelle mobile des salaires au sein d'la fonction publique
l’armée humanitaire la Bourse et l’écologie
J’fonce au bar d’à côté retrouver mes camarades
de vieux marxistes-éthilistes virés socio-démocrates
Et j’gueule sur le comptoir sur fond d’Internationale
Eh! Qué? le socialisme depuis la lutte finale?
Y m’ont dit...

On a sauvé la façade depuis le manifeste
gardé les initiales et bazardé le reste
on a sauvé la façade et cravaté nos vestes
le marché a marché; le parti est parti;
aux marchands à présent ‘faut vivre avec son temps... Ouais!

J’avais dressé ma chienne qu’a des besoins quotidiens
A conchier le Royaume ousqu’elle est partout chez elle
J’pousse la porte d'la Belgique: nom de dieu ! y a plus rien
Qu’un match des Diables Rouges sur la pelouse du Heysel
Les Flamands les Wallons et même les germanophones
avaient scindé les tribunes en six tribus autonomes
‘Fallait traverser la Flandre et trois Républiques wallonnes
Pour voir le roi Albert dribbler Michel Preud’homme
J’fonce au bar d’à côté trouver un homme politique
qui voudrait bien sonder un bout d’opinion publique
et j’balance au premier qui siffle une brabançonne:
Eh! qué dans ce pays où n’habite plus personne?
Il m’a dit...

On a sauvé la façade pour rester bourgmestre
gardé les ambassades et bazardé le reste
On a sauvé la façade jusqu’au prochain semestre:
la terre est planétaire; les régions sont légions;
aux provinces à présent ‘faut vivre avec son temps ... ouais!

J’avais traîné ma chienne qui n’aime que l’chant grégorien
voir la chanson française ses révoltés ses poètes
J’pousse la porte d'la radio : nom de dieu! ‘y a plus rien
Qu’un fond de top 50 débité à perpète
L’directeur des programmes qu’a du sommeil en souffrance
m’avoue qu’depuis la FM son audimat disjonctait
Qu’il aime beaucoup la chanson qu’il passe ses vacances en France
Et ‘y retourne à sa play-list avec ses disc-jockeys
J’fonce au bar d’à côté au Café des Vieux Chanteurs
Où ma place est réservée depuis bientôt trois quart d’heures
et j ‘interromps Julos et Dudu interloqués:
Les mecs j’ai tout compris achetons des karaokés J’leur ai dit...

On va sauver la façade et bazarder le reste
nos guitares nos ballades nos chansons indigestes
On va sauver la façade On est chanteurs on le reste
mais les chants sont des sons et les textes des prétextes
en dansant à présent nous chanterons l’air du temps... Ouais!

(Paroles : Claude Semal
Musique : Claude Semal / Jacques-Ivan Duchesne
Reprise sur le disque : CD En fanfare
Editions : Sowarex)