"BREL ! Et après ?"

"33 détours et autres dans la chanson de la Communauté française de Belgique"

par Francis Chenot, Geneviève François,
Ronald Theunen et Jean-Pierre Vander Straeten
Editions Labor, Bruxelles - 1984


Pages 136 à 138 "Claude Semal - Disques tu veux"

par Francis Chenot

Cela fait une douzaine d'années déjà qu'il hante les chemins de la chanson. Non pas les autoroutes du succès, mais plutôt les sentiers de traverse. Avec des éclipses. Et cela n'arrive-t-il pas au soleil lui-même ? Et Claude Semal, puisque c'est de lui qu'il s'agit, a bien quelque chose de solaire. Et pas seulement parce qu'il aborde moustache rousse comme l'automne et chevelure qui flamboie comme champ brûlé par un septembre trop sec.
En fait, il rayonne. Tout simplement. En un étrange mélange de douceur et de fièvre.

Une douzaine d'années déjà qu'il chante. Comme il est né en 1954 (un 6 mars...), cela laisse entendre qu'il a débuté bien jeune.
Il se définit comme un autodidacte de la chanson. Et c'est vrai que l'on ne trouve guère chez lui de ces influences que l'on sent généralement chez les autres (mais cela n'a rien d'une tare, le tout est de savoir comment elles sont digérées). Entre 1971 et 1974, il chante un peu partout en Belgique avec Alexandre Waijnberg. Il joue aussi pour les petits enfants, notamment au Théâtre de la Vie.
En 1974, il est de l'équipe de l'hebdomadaire "Pour", puis dans la foulée, il participe à la création de l'organisation "Pour le socialisme". De même, il sera aussi des "Ateliers du Zoning" en 1976 avec Roger Delogne et Aline Dhavré qui seront rejoints en cours de route par Thierry Deketelaere, Dominique Delvaux, Brigitte Diraison, Jean-Louis Sellier et quelques autres.
C'est pour les "Ateliers" qu'il écrit "La ballade de Hoboken", la seule chanson en Belgique à avoir été traînée devant un tribunal pour avoir osé dénoncer les industriels pollueurs :

Dans la banlieue d'Anvers près du chantier naval
Un enfant m'a montré à côté du canal
Des cages sans oiseaux et des fleurs sans pétales
Voici l'histoire vraie de ce fait peu banal

Sous un ciel gris de plomb les enfants couraient
Oh! l'air était si lourd le vent soufflait si frais
C'est un étrange orage qui se préparait
Dans le ciel au-dessus de Métallurgie-Hoboken
(...)
A plus d'un kilomètre tombe sur les jardins
La poussière du zinc, du cuivre, de l'étain
A plus d'un kilomètre tombe sur les maisons
La poussière du plomb de Métallurgie-Hoboken

Avril 73 on découvre dans un champ
Huit vaches et deux chevaux mort d'empoisonnement
On trouve assez de plomb incrusté dans leurs dents
Pour remplir les crayons de tout un parlement

Sous un soleil de plomb les enfants couraient
Le ciel était si chaud le sol était si près
Est-ce bien la chaleur qui les fait transpirer
La nuit dans le quartier de Métallurgie-Hoboken
(...)
Du plomb dans le sang de plus de cent enfants
Couchés à l'hôpital sont touchés par le mal
Mais les juges d'Antwerpen trouvant ça normal
Acquittent au tribunal la Métallurgie-Hoboken...

La chanson le sera aussi

Depuis 1980, il se remet à chanter. Non plus comme militant. Chanter tout simplement. Ce qui ne veut pas dire qu'on n'a pas de choses sur le coeur. Et puis il y a ces deux spectacles de café-théâtre chantant - La situation est excellente, mais pas désespérée et L'avenir n'est plus ce qu'il était - avec Georges Van den Broek : c'est drôle, très belge aussi, directement en prise sur la réalité politique et sociale de ce pays, mais jamais prêcheur... C'est aussi pour Claude l'occasion de roder quelques chansons. Mon vieux Pierre, par exemple, émouvant hommage à un grand-père qu'il n'a pas connu :

Tu n'as pas connu ce jour gris
Couché sous les fleurs et la pluie
Dans la tristesse d'un hiver
Mon vieux Pierre...
(...)
Derrière le corbillard banal
Y avait la fanfare syndicale
Et toi qui aimais tant le jazz
Mon vieux Pierre...
J'aurais joué sur ton saxo
L'internationale en solo
Avec le swing de l'après-guerre
Si tu m'avais laissé le temps...

Mais aussi Bruxelles est un village "où j'ai perdu mes voisins" et Le pays petit "aux frontières internes". Une chanson que Christiane Stefanski reprendra avec bonheur. Une chanson qui n'est pas qu'un constat de nos petites misères, mais aussi l'expression d'une volonté de lutte :

Car nous n'attendrons pas qu'il neige des oranges
Ou que l'ogre d'argent daigne enfin nous quitter
Pour vivre dans les rues cette passion étrange
Qu'on appelle parfois simplement "liberté"
A force de l'attendre...

Des chansons que l'on retrouvera fin 1982 sur le 33 tours Les convoyeurs attendent, un titre qui évoque Le pays petit (mais Christiane s'en est déjà servi pour son deuxième album). Un disque autoproduit, évidemment, pour lequel Claude a lancé une souscription.
"Cela va faire dix ans - explique-t-il à l'époque - que je me promène avec mes petites chansons dans les poches. Certaines ont séché ou moisi comme des animaux morts. Je les ai jetées, perdues, oubliées.
Mais j'en ai gardé d'autres entre les doigts, chaudes et polies comme des noyaux de cerises, comme des billes de frondes, comme des cailloux vivants. J'aimerais, Public, pour mon plaisir et pour le tien, en faire un premier 33 tours".
Et d'inviter tout un chacun à devenir mécène tout en restant fauché... A sa manière, il posait ainsi le problème de la production.

Le disque sort. Très heureusement. Avec de beaux arrangements de Paolo Radoni et le concours de toute une série d'excellents musiciens, parmi lesquels Charles Loos, Jean-Louis Rassinfosse, Jeannot Gillis... Des musiques qui ont "l'âme à la tendresse" pour des chansons qui l'ont tout autant, comme Ce vide contre ton corps que reprendra le GAM ou cette Ballade du passant qui date de 1974 mais ne ... datera jamais :

Et tes dents froides comme la neige
Fondent tout doucement pas pressées
Notre histoire fut belle mais n'ai-je
Jamais rien fait d'autre que passer
Tu finiras la chanson toi-même
Tu sais bien que mon temps est pesé
Voici l'air : il faut dire que je t'aime
Mais que je n'aurai fait que passer

Les réussites sont nombreuses sur ce disque et je voudrais citer encore Voyage entre deux guerres, une chanson politique dans la meilleure acception du terme, parce que branchée sur l'humain. En voici le dernier couplet :

Je n'ai pas vu la mort à table
Vider le verre des copains
Les corps nus couchés sur le sable
Entre les racines de pins
Entends-tu le tocsin qui sonne
J'ai vu l'Espagne ce matin
Et les chiens noirs de Barcelone
Dans les pages des quotidiens
Une saison qui nous ressemble
Nous attend au bout de l'hiver
Dis-moi la vivrons-nous ensemble
Oh! mon amour entre deux guerres.

Francis CHENOT